Texte d’Amadou Lamine Sall (1951-) – SÉNÉGAL
Lauréat du Prix International de Poésie 1573, Golden Antilope Tibétaine 2025, Chine.

Je rentre de Chine en ce mois d’août 2025 ! J’y étais, honoré au nom de la poésie. Mon pays et l’Afrique avec ! J’y apprends que la Chine a consenti à de lourds investissements pour que la littérature africaine soit mieux exploitée, plus visitée, plus connue, plus traduite, en dehors de tous les canons, critiques, postures occidentaux ! La Chine veut se faire elle-même, son propre diagnostic ! Senghor y est déjà passé !
Me voici revenu parmi les miens, plus humble encore, plus soif de connaissances et de rêves, plus émerveillé encore des dons du Seigneur ! La Chine ? Bienvenue au 25ème siècle ! Adomako Yaw, mon coiffeur Ghanéen du quartier de Grand-Yoff qui m’abrite, s’esclaffe de rire quand nous évoquons, en ami complice, mon voyage chez Confucius : « la Chine travaille. Jour et nuit, nuit et jour, elle travaille », me dit-il ! « L’Afrique ? Parasiter, manger, dormir, femme ! » Il ajoute, à ma grande surprise, ceci : « La Chine possède plus d’hommes d’État que d’hommes politiques. C’est ce qui la différencie de nous. Le fossé sera long à combler ! » L’Ambassadeur de Tombouctou renchérit : « Le comble en Afrique, ce sont ces Chefs d’État et hommes politiques qui équipent en ascenseurs nos cases, au lieu de nous éviter la faim et l’ignorance ! Ils sont l’effondrement même de la morale humaine. Des reptiles sans nom ! »
Il me manquait mon séjour en Chine ! J’écrirai un jour ce que je dois à la Chine, comme j’ai écrit ce que je dois à ma mère, à Senghor, à mon pays qui m’a vu naître et qui m’a conduit sur les chemins de l’alphabet ! Je suis arrivé en Chine pour dix jours. Je découvre, étonné, que ni whatsApp, ni gmail, ni google, n’ont ici droit de cité ! La Chine s’est faite sa propre identité numérique, loin du cannibalisme américain qui dévore l’Occident et rumine la pauvre Afrique, ce wagon docile, quoique fort créatif, qui suit la marche du monde, faute de politique scientifique et technologique, de laboratoires de recherches « et de petites mains qui fabriquent des algorithmes. » Et si l’Afrique créait son propre réseau identitaire d’opérateur numérique africain mondial ? La question est de savoir « comment faire pour que le nouveau monde ne se construise pas sans elle, ne se construise pas contre elle. »
Ce que j’ai vu, lu et découvert ici en terre de Chine, m’habitera jusqu’à la fin de mes jours, dans ce caveau si attendu où m’attend une maman qui m’a toujours attendu dans la vie ! Une nouvelle carte culturelle, économique, technologique, scientifique et politique, est née et la Chine l’a tracée, écrite elle-même plus que tout autre ! Son silence dans la mystique du travail inspirée de sa culture et de son histoire, la distingue de tous et la sacre !
L’Amérique n’est pas et ne sera jamais la Chine ! L’Europe n’est pas et ne sera jamais la Chine ! Ce qui les sépare, c’est la discipline, le silence, le sacré. L’Amérique comme l’Occident, c’est le bruit, la vanité, l’insolence. J’ai appris ici que les fondements de la liberté, de la justice, de la paix, ne sont pas forcément dans cette close et vaniteuse définition de l’idéal démocratique et des droits de l’homme, si cher à l’Europe des lumières et désormais presque toutes éteintes. Quelque chose d’autre est né et s’est levé ici en Chine et couvrira le monde ! « Nous sommes arrivés à ce qui commence », comme l’écrivait le poète Gaston Miron !
La Chine avec près d’un milliard quatre cents millions d’habitants ne peut qu’être considérée, entendue, écoutée, respectée ! Le très grand intellectuel singapourien Kishore Mahbubani note pour nous ceci, comme l’a rappelé à Paris le 04 juillet 2025 dernier, le précieux penseur Jean-Louis Roy, à la tribune de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer où j’étais son invité : « Les 900 millions de personnes vivant à l’Ouest doivent connaître et apprécier comment les 6,5 milliards de personnes restantes voient le monde. » Cela s’appelle l’humilité ! L’Europe n’est plus civilisatrice ! Elle est nue ! Elle a froid ! Elle est pauvre ! Elle est inquiète, divisée, explosée. Elle aussi veut que le nouveau monde ne se construise pas sans elle ! Elle s’est installée dans la « polygamie » pour ne pas subir le courroux et la dictature d’un seul conquérant !
Non, la Chine n’est pas et ne sera pas l’Outre-Mer de l’Amérique ou de l’Europe ! Le contraire serait plus envisageable ! La Chine est unique ! Elle est d’abord un exploit culturel, un enracinement, une identité, un patrimoine. Puis, est venu l’exploit économique et scientifique. La force de l’idéologie politique d’un État central et d’un pouvoir central qui ont le mérite de faire vivre, partager, échanger, combattre ensemble toute pauvreté et toute solitude ! La Chine est une immense famille humaine, spécifique, aux inépuisables conquêtes sur elle-même: luttes, souffrances, acquis. La Chine est un bel abus de patriotisme ! Elle est un accomplissement dans l’exigence d’un enracinement culturel puissant et une fascination d’une ouverture au monde dans le partage et l’échange.
La Chine n’est pas un pays. La Chine est un continent de l’esprit, pour paraphraser Jean-Louis Roy ! Ses sages, ses philosophes, ses poètes, ses écrivains avant ses figures politiques, l’ont fait essaimer par le monde. Réunir et gouverner dans la discipline plus d’un milliard d’habitants est presque surréaliste et inhumain ! Mon pays si cher, le Sénégal, avec ses 18 millions d’âmes, ressemble à une poubelle géante, dans une indiscipline criarde et une incivilité triomphante ! Le Sénégal a besoin d’autorité et de consensus ! L’État doit assurer le premier. La société civile le second. La démocratie n’est pas le bordel, excusez de ce vilain mot ! – La ville de Changhai, à elle seule, compte plus de 25 millions d’habitants et elle rayonne dans une propreté, un civisme, une discipline, un respect patriotique, un cadre boisé fait d’eau, de jardins, de parcs, un environnement écologique surveillé, une force économique et d’échanges reposante et prospère, une sécurité totalisante et tranquillisante. –
La Chine est une machine à produire de la science, de la technologie, de la croissance, de la richesse, du travail, de la discipline, du patriotisme, de l’espérance ! A elle seule, elle est devenue le plus grand, le plus puissant appareil de production industrielle au monde ! Une déferlante montante et vertigineuse ! L’histoire et les progrès de l’humanité se jouent là, de la manière la plus éclatante, la plus saisissante ! Oui, bienvenue au 25ème siècle chinois !
« En 2000, la contribution des États-Unis d’Amérique au PIB mondial était de 22% et celle de la Chine de 17%. Aujourd’hui, elle est de 15% pour l’Amérique et de 17% pour la Chine. À bon entendeur, salut ! L’ère numérique et les technologies qui l’incarnent, y pèsent lourd ! » « Six milliards de personnes utilisent aujourd’hui Internet, soit près de 70% de la population mondiale. » Au moment même où vous lisez ces lignes, « ce sont cinq milliards de courriels qui seront échangés. Dans un avenir proche, trois communautés d’internautes totalisent, chacune, un milliard d’usagers : la chinoise, l’indienne et l’africaine », nous enseigne mon ami l’essayiste Jean-Louis Roy !
La Chine est une leçon de l’histoire. Elle est une vieille, très vieille civilisation qui a tenu, d’abord, à protéger son patrimoine culturel. L’Afrique aussi a ses « réserves de valeurs » comme la Charte du Mandé qu’elle cite, mais sans plus ! La Chine est la déferlante d’un développement industriel et d’une praxis culturelle jamais vus ! Elle n’est pas que, en avance ; elle donne le rythme au monde ! Dans ouvrage Bienvenue dans le siècle de la diversité, la nouvelle carte culturelle du monde, Jean-Louis Roy nous dit que « de nouvelles institutions émergent : Association de coopération de Shanghai, routes de la soie, nouvelle banque de développement international, Organisation internationale de médiation créée récemment par la Chine comme « alternative non occidentale » aux mécanismes traditionnels de résolution des différents internationaux. » Sans compter, par ailleurs, « la forte concentration de la République populaire de Chine et son Président, autour d’un projet de civilisation universel, notion qui emprunte les routes de la soie et fait son chemin dans le monde. L’an dernier, cette vision et cette conception d’ensemble a obtenu une reconnaissance de l’Assemblée générale des Nations Unies sous la forme d’une journée mondiale qui, désormais, lui est réservée annuellement. »
La Chine que j’ai vue est une « cohésion », une « pertinence », une « durée », une « architecture éthique et politique » par nécessité, une « masse critique » sur elle-même, un « cycle d’enchainements et de renouvellements » époustouflants, un « long terme » maitrisé, gradué. Si notre planète semble déchirée, la Chine, sereine, travailleuse et silencieuse, émerge et rayonne dans toute son histoire ! Je n’ai pas vu un pays. J’ai vu un continent des continents et un peuple de 1,411 milliard d’âmes dont des écrivains et des poètes, comme Jidi Majia, le plus représentatif de la littérature contemporaine chinoise ! En Chine, de Shanghai, Lanzhou, Xining, j’ai pensé à Senghor avec son concept « enracinement et ouverture ». Le poète et Chef d’État sénégalais rayonne en Chine avec son ami Aimé Césaire. Ils y sont traduits. Ils sont, en effigie, dans les musées. Le poète chinois Jidi Majia vénère Senghor pour son apport authentique à la poésie mondiale. Il rêve de la terre sénégalaise. J’ai décidé, pour ma part, qu’il y mettra bientôt les pieds, à l’occasion de la biennale des Rencontres poétiques internationales de Dakar, créée en 1998 à Dakar et qui se perpétuent.
« L’universel, c’est le local moins les murs » comme le disait le grand écrivain portugais Miguel Torga ! La poésie de Jidi Majia, pour parler de lui, c’est « la culture ancestrale, les montagnes et les hautes vallées du peuple Yi aux confins du Tibet. » Comme Senghor avec ses pâturages sérères, Joal, les tanns de Djilôr, l’oncle Tokô Waly ! J’ai donc dormi là, au Tibet, à 3266 mètres d’altitude, près du plus grand lac de Chine, le lac Qinghai, dénommé « la mer bleue. » La poésie m’aura tout donné ! Elle est mon épouse, ma mère, la mer, ma sœur, ma banque, ma grotte pieuse, ma rivière, mon lieu de vie, mon oxygène, ma prière, ma mosquée, mon église parce que je priais dans les églises depuis tout jeune à Kaolack, ma cité native-natale !
En poésie, écrit Jean-Pierre Siméon, évoquant celle chinoise de Jidi Majia qui nous dit, lui-même, que « Le poète est le chef de la dernière tribu », toujours apprendre et savoir « élargir son champ de vision, sans rien renier à sa culture propre et de son appartenance à une histoire millénaire, à l’entièreté de l’aventure humaine, à nouer le mythique et l’extrême contemporain, à intégrer la pensée dans l’hymne et l’élévation lyrique… sans cesse régénérer la conscience des hommes. » J’ai appris que la misère intellectuelle, l’obscurantisme, étaient pires que la pauvreté et la misère alimentaire ! En effet, la connaissance peut informer, guider, soutenir, servir, dans le dépassement, à surmonter la misère et le manque. La misère, toute seule, sans lumière, conduit à la défaite et à l’anéantissement. La foi, quant à elle, est une autre forme de résistance de l’esprit pour éviter la défaite de l’être !
La Chine est grave ! Elle est ample, vaste, réelle, actuelle, forte. Elle est un lieu fondamental de l’humanité, une tradition nourricière et féconde. Elle « noue le mythique à l’extrême contemporain ». « C’est en effet dans la spiritualité immémoriale de ce peuple, dans ses mythes, ses rituels », sa force créative, sa puissance d’adaptation et de dépassement, que la Chine vit et qu’elle conquiert tranquillement le monde ! Elle sait où elle marche, où elle va. Elle ne se retournera pas. L’Amérique comme l’Europe sont au bas du grand arbre, alors que la Chine est sur le cime et elle voit au-delà de l’horizon non le chemin du futur, car le futur est déjà là, mais bien le chemin de l’éternité !
Puisse l’invasion du monde par la Chine, comme on aime aisément l’accuser, ne soit que cette soif de rencontres et d’échanges des peuples pour une meilleure terre où il fait bon vivre ! J’ai aimé le poète Jidi Majia ; j’ai aimé Shucai mon traducteur qui a vécu au Sénégal, rencontré Senghor et gardé de notre pays un amour émouvant ; j’ai aimé Hunter, critique généreux et si ouvert sur le monde ; j’ai aimé Aaron Huang, notre jeune guide chinois, à qui j’ai appris quelques mots français ! Dans nos hôtels, à travers le pays, des robots dans les couloirs, les halls, les gares, les aéroports, nous demandaient ce dont nous avions besoin pour nous servir ou nous guider. Fascinante avance d’une civilisation technologique, non ?
« Penser l’autre et accepter de se laisser penser par l’autre, sans égard aux différences, est un acte considérable, difficile et indispensable, la condition sans doute pour qu’émerge une architecture éthique et politique, répondant aux nouvelles conditions de la famille humaine. »
La Chine est une nativité !
Août 2025.