Poème de René Depestre (1926-) – HAÏTI
Le soleil prend en main la sève de mes années à mesure que l’exil se retire de mes terres.
Une saison de rêve irrigue les choses tendres de la vie.
Ô poète de l’amour solaire ! ô magicien d’une
Venise sans masques ni carnaval !
à ce carrefour de mon automne
je sais à quel feu de miséricorde
jeter le bois mort de mes ennemis :
le manche de leur hache de guerre ne peut
séduire aucun arbre musicien de ma forêt.
Dans les mots frais du soir je trouve le lien
qui unit le mythe aux nervures de la feuille,
qui relie aussi le galet des rivières
au tourbillon de la vie dans mes poèmes.
Voici l’âge mûr du pin d’Alep
et du mimosa japonais : voici le temps
de jeter un pont entre le passé cubain
et la neuve rumeur du vent dans mon esprit.
Le temps d’éparpiller à la mer caraïbe
les cendres des fausses croyances du siècle.
Le jeune matin du rossignol
inonde mes rives à la française.
L’essor marin du nouvel être
dilate le mystère du poète
qui devient l’animal de tendresse qu’il est.