Poème de Saint-John Perse (1887-1975) – GUADELOUPE (France)
I
Et vous, Mers, qui lisiez dans de plus vastes songes, nous
laisserez-vous un soir aux rostres de la Ville, parmi la pierre
publique et les pampres de bronze ?
Plus large, ô foule, notre audience sur ce versant d’un âge
sans déclin : la Mer, immense et verte comme une aube à l’orient
des hommes,
La Mer en fête sur ses marches comme une ode de pierre :
vigile et fête à nos frontières, murmure et fête à hauteur d’hommes
̶ la Mer elle-même notre veille, comme une promulgation divine…
L’odeur funèbre de la rose n’assiègera plus les grilles du tombeau;
l’heure vivante dans les palmes ne taira plus son âme d’étrangère…
Amères, nos lèvres de vivants le furent-elle jamais ?
J’ai vu sourire aux feux du large la grande chose fériée : La Mer
en fête de nos songes, comme une Pâque d’herbe verte et comme
fête que l’on fête,
Toute la Mer en fête des confins, sous sa fauconnerie de nuées
blanches, comme domaine de franchise et comme terre de mainmorte,
comme province d’herbe folle et qui fut jouée aux dés…
Inonde, ô brise, ma naissance ! Et ma faveur s’en aille au cirque
de plus vastes pupilles!… Les sagaies de Midi vibrent aux portes de la joie.
Les tambours du néant cèdent aux fifres de lumière. Et l’Océan, de toutes
parts, foulant son poids de roses mortes.
Sur nos terrasses de calcium lève sa tête de Tétrarque.
In Amers, Editions Gallimard, 1957