Poème de Mongane Wally Serote (1944-) – AFRIQUE DU SUD
Illustration: régions administratives de Johannesbourg (township d’Alexandra – 7)
Si c’était possible de dire,
Mère, j’ai vu des mères bien plus belles que toi,
Une mère plus affectueuse,
Lui dire c’est là-bas que je vais,
Alexandra, il y a longtemps que je t’aurais quittée.
Mais on a une seule mère, que nulle ne peut remplacer,
Tout comme on ne choisit pas de naître,
On ne choisit pas les mères ;
On tombe d’elles comme on tombe de la vie dans la mort.
Et puis Alexandra,
Tu es nouée à mes débuts
Tout comme tu noues ma destinée.
Tu palpites dans mes silences intérieurs
Muette dans mon cœur qui bat fort pour moi.
Alexandra j’ai souvent pleuré.
Quand j’avais soif, ma langue a goûté la poussière
Qui alourdit tes mamelons.
Je pleure Alexandra quand j’ai soif.
Les eaux sales ravinées suintent de tes seins
Eaux mêlées du sang de mes frères, tes enfants,
Qui un jour ont choisi des fossés pour lit de mort.
Tu m’aimes Alexandra, ou quoi?
Tu me fais peur, maman,
Tu prends des airs de méchante,
Tu me fais peur, maman,
Quand je me repose sur ta poitrine, quelque chose me dit
Que tu es vachement cruelle.
Bon Dieu Alexandra,
Qu’est-ce que tu m’as fait?
J’ai vu des gens mais je ne me sens pas des leurs
Alexandra dis, qu’est-ce que tu me fais ?
Je me sens sombrer dans une telle faiblesse !
Je suis là gisant tandis que les autres me piétinent pour aller ailleurs.
Je t’ai quittée, maintes fois,
Je reviens.
Alexandra, je t’aime ;
Quand tous ces mondes me sont devenus étrangers
Je me suis traîné en silence vers toi
Et me voici étendu au milieu des gravats
Simple et noir.
In Poèmes d’Afrique du Sud, traduit de l’anglais par Katia Wallisky © Actes Sud/ Editions UNESCO
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