Préface de Jean-Marie Gustave Le Clézio (1940-) – MAURICE/ROYAUME-UNI/FRANCE

L’Île Équinoxe est un recueil particulièrement émouvant dans l’œuvre de Jean Fanchette. Émouvant parce qu’il fait penser impérieusement à un autre poète de l’exil et de l’appartenance : Arthur Rimbaud. Il y a quelque chose de commun entre les deux hommes. Tout d’abord, le voyage. Rimbaud, au mitan de sa vie, après avoir cessé d’écrire, va vivre à Malte et en Égypte, puis au Harrar, et revient pour mourir en France, d’un cancer, à l’âge de quarante ans. Et ce bateau, l’Amazone, sur lequel il est rapatrié, déjà presque à l’agonie, était un des paquebots de la Compagnie générale maritime qui faisait le service entre l’océan Indien (Aden) et Marseille, et transportait aussi des passagers venant de Maurice.
Jean Fanchette a vécu l’expérience de Rimbaud, mais à l’envers. Rimbaud est entré en poésie, a soulevé la langue française, l’a transformée à jamais. Ensuite il s’est tu, et il a voyagé vers l’océan Indien. Jean Fanchette a connu l’itinéraire inverse puisqu’il a commencé par voyager, il a quitté Maurice, et au lieu de se déplacer vers l’est, il l’a fait vers l’ouest. Il est allé en Europe, et c’est là qu’il a trouvé la poésie, le théâtre – on sait son engagement dans l’aventure du psychodrame de Jacob Moreno –, en même temps qu’il a exercé sa profession de médecin psychiatre. Son voyage est allé du silence (Maurice, l’île du silence d’une certaine façon) vers l’illumination de la poésie, puis s’est interrompu dans la mort. Il y a quelque chose d’étrange dans cette correspondance.
Je crois que tous les deux peuvent être considérés comme des aventuriers, dans tous les sens du terme : l’aventure de la poésie, mais aussi l’aventure de la vie. Et cette expérience extrême, cette expérience de la poésie et du voyage, est le terrain sur lequel les deux poètes se rencontrent.
Mais ils se rencontrent surtout dans la valeur des mots. Aussi bien Jean Fanchette que Rimbaud sont des poètes qui ont une exigence vis-à-vis du vocabulaire, vis-à-vis de la langue. Ce sont des poètes qui ne manient pas l’ornement. Ils sont dans l’exactitude. La poésie est pour eux un absolu de la quête humaine. Chez l’un comme chez l’autre se trouve la nécessité d’accéder au réel, non le réel du quotidien, mais le réel qui se cache au coeur des choses, l’éblouissement, la charge sensorielle, la vérité cénesthésique. Chez l’un comme chez l’autre, la même liberté. Il y a des rencontres très surprenantes. Dans un poème, son premier grand poème, Le bateau ivre, Rimbaud parle des « péninsules démarrées ». Dans L’Île Équinoxe, Jean Fanchette utilise spontanément la même image, il écrit « étoiles démarrées ». Le même navire, le même voyage, les mêmes bruits du vent dans les vergues, le bruit qu’il imagine et qui a transcendé la poésie de Rimbaud, qui l’a invité au voyage. C’est ce goût de la mer, ce goût de l’aventure qu’on retrouve dans la poésie de Jean Fanchette. Son désir de l’ailleurs, du nouveau, son besoin de vérité.
Préface de L’Ile Equinoxe intitulée « Je ne suis pas d’ici, je ne suis plus d’ailleurs »