La plaidoirie du kadd : « Ne m’appelez pas Faidherbia albida »

Poème de Fatou Yelly Faye (1957-) – Responsable de délégation AFROpoésie/Afrique de l’Ouest – SÉNÉGAL

Parc de kadd, Bambey, Sénégal (©Daouda Ngom)

Si tant est que je  suis

 Bubërëb garab lekki ndaqar tree arbre

Je réclame ma généalogie

Pour mes enfants

Mes petits-enfants

Mes fils et frères d’Afrique

Je ne m’appelle ni Acacia albida ni Faidherbia albida

Je me nomme kadd

Tout simplement de la grande famille des arbres d’Afrique

Du Sénégal plus précisément

De la digne lignée

Du gouye  khay  dakhaar benténier ditakh les  arbres fétiches

Peuple juge

Comment peut-on m’appeler kadd pendant des siècles ?

Me renommer Acacia albida ?

Puis enfin Faidherbia albida ?

Interrogation légitime

Légitime inquiétude

Pourquoi

Déconstruire  pour reconstruire

Ce qui a déjà été bien construit 

À quelle fin ?

Mon

Afrique

 Réveille-toi

Ouvre les yeux

Se taire n’est plus possible

Même s’ils pillent nos ressources naturelles

Ils  ne peuvent accaparer nos cerveaux

Ni nous empêcher de constater

De penser réfléchir

Et c’est pourquoi

 Je plaide

Je plaide

 Pour mes fils et petits-fils

Ceux qui seront totalement libérés des chaînes invisibles de la sournoiserie aliénante

Ceux qui ne seront plus ligotés « enfagotés » dans le creuset de l’omerta

Ceux qui sauront faire la part des choses

Je plaide

Je plaide

Pour

Cette génération qui saura

« Qu’à  formation égale la vérité triomphe »

Comme n’a cessé de dire le pharaon du savoir Cheikh Anta Diop

« Formez-vous armez-vous jusqu’aux dents et arrachez votre patrimoine culturel »

Moi

Qui ai toujours vécu en Afrique

Dans mon arbre généalogique

Faidherbe n’y figure pas

Dans mes racines souches

 Faidherbe n’existe pas

Sur mes feuilles mon écorce mon tronc

Faidherbe n’a pas sa place

 Sur mes fleurs qui nourrissent le pâturage quand l’herbe se fait rare

 Faidherbe n’apparaît pas

Alors

Nul besoin de déboulonner les kadd de l’Afrique de l’Ouest

Nos racines souches nous servent de boulons naturels

Pas besoin de démonter le pont d’acier de Saint-Louis

 l’histoire s’en chargera

Nous qui ne sommes pas des statues

Ne traînons ni boulons ni chaînons

La  statue de Saint-Louis s’en charge

Elle qui en tout temps tout lieu

Traîne sa triste  grisaille. 

Nos racines prennent vie dans le sable nourricier d’Afrique

 Terreau fertile de l’humanité

Nos graines parsèment la vaste contrée Ouest Africaine

Nos feuilles et fleurs nourrissent les bêtes pendant la saison sèche

Ne m’appelez pas Faidherbia albida

Ni mon frère gouye : Adansonia digitata en hommage à Michel Adanson

Mais plutôt gouye

 ou bu hibab en arabe:

Le fruit aux nombreuses graines

N’appelez pas non plus mon frère le rônier Borassus Akeassii

Quand ma graine germait sous terre

ou étiez-vous Faidherbe  Adanson Akeassii?

Et je plaide

Car

                                                    Quand les dés sont pipés

Ramer à contrecourant est un impératif

Mais en  épousant le jeu de l’autre 

Se dire demain il fera jour

Relève de l’abandon.

Même si  les mensonges arrivent vite à bon port

la vérité les rattrape le soir au coucher

Mais Il faut un sursaut d’orgueil

De courage pour ouvrir  les yeux

Si tant est que je m’appelle

Garab bubërĕb lekki ndaqar tree arbre

S’il est vrai

Que le nguer n’a pas été débaptisé et s’appelle toujours Guiera Sénégalensis

Que le khay a conservé son nom de famille

Et s’appelle toujours Khaya Senegalensis

Le ditakh qui donne son élixir rafraîchissant ajuste fièrement sa traine

Nous désaltère de son jus exquis

S’appelle toujours Détarium Senegalense

Il ne saurait y avoir deux poids deux mesures

Je fais partie de cette race de résistants

Moi qui donne ma carapace dénudée en pâture aux vents aux tornades hivernales

Pour la survie de l’espèce

Je réclame justice

Et je plaide

Je plaide

 Pour mes frères débaptisés

Tous mes frères affublés de noms burlesques

Afin de satisfaire un ego démesuré

Je me nomme kadd

Tout simplement de la grande famille des arbres du Sénégal

Je plaide

À la mémoire de la reine Ndatte Yalla

De grâce

Avez-vous oublié que ma reine Lingeer opposa une résistance farouche à Faidherbe

Avez-vous oublié qu’il détiendra captif son fils Sidiya depuis l’âge de huit ans

Le surnomma Léon 

Avez-vous oublié que Sidiya Ndatte Yalla Diop

N’a pas failli et mourut en héros

Par devoir de mémoire 

Ne m’appelez pas Faidherbia Albida

N’appelez pas non plus mon frère gouye le grand baobab Adansonia digitata

   En souvenir

D’El hadj Cheikhou Oumar Foutiyou Tall

L’imam de Bandiagara

 la résistance dans toute sa grandeur

Étale sa classe

Et c’est toi que j’interpelle

Digne fils d’Afrique

Quand tu te retrouveras face au monde

Relève la tête

Donne-leur mon message

 Dis-leur que le vieux kadd dans sa plaidoirie

S’appelle bien Kadd du Sénégal et non Faidherbia Albida

Si tant est que

Faidherbe n’est ni mon père ni mon grand-père 

En aucun cas il ne saurait être la graine de seigneur qui m’a germé.

Dakar – Dimanche 23 août 2020 à 13H52

Je dédie ce poème

À tous mes frères sœurs et enfants

Aux chercheurs épris d’éthique et de déontologie

Aux professeurs

 Pr Daouda Ngom 

 Pr Pape Massène Sène

Pr Oumar Dieye

Lexique

Niim =  marbousier- Azadirachta indica

Lekki =arbre en pulaar

Garab = arbre en wolof

Bubereb = arbre en diola

Ndaqar = arbre en sérère

Liingeer = reine en wolof

Gouye = baobab

Dakhaar = tamarinier

Bénténier = fromager

Tree = arbre en anglais

©Daouda Ngom

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