Poème d’Eugène Volsy Focard (1818-1901) – LA RÉUNION (France)

Pourquoi ne puis-je pas, d’une plume docile,
Peindre, en des vers chinois, des arbres et des fleurs,
Comme avec un pinceau gracieux et facile,
De la belle nature imiter les couleurs ?
Je ferais, ici même, un riant paysage,
Que vous retoucheriez afin de l’embellir,
Une maison cachée au milieu d’un bocage,
A l’heure où vient le soir, où le jour va pâlir.
Je placerais au vent un rideau de Jamroses,
Des vanilliers grimpant sur de hauts badamiers ;
Une varangue ouverte où monteraient des roses ;
À gauche, un clair massif de mobiles palmiers.
Quelques graves lascars, pétris en terre glaise,
Drapés dans leurs capras, accroupis deux à deux,
Seraient, de mon jardin tracé tout à l’anglaise,
Les gardiens vigilants qui ne garderaient qu’eux.
Les ondes d’un bassin, s’échappant sous des songes,
Après de vains détours, y reviendraient encor :
J’y mettrais des montbruns, ces poissons des mensonges
Qui, vus au fond de l’eau, semblent des lingots d’or.
Un bougainvillier couvrirait la tonnelle ;
Je planterais autour de jeunes arbrisseaux,
Tels que des bibassiers, des cerisiers-cannelle,
Des goyaviers lilas, des hibiscus ponceaux.
De tortueux sentiers, marqués de galets rares,
Semés du sable bleu des Patates-Durand,
Formeraient des zig-zags, de ces contours bizarres,
Que sans les voir ou suit, on quitte et l’on reprend.
L’oiseau blanc, l’oiseau vert au chatoyant plumage,
Ces hôtes familiers de nos vergers ombreux,
Et l’oiseau-de-la-Vierge au triste et doux ramage,
Sans craindre la gaulette, y parleraient entr’eux.
J’emploierais des gazons, des netchoulis vivaces
A former des dessins extravagants ou non ;
J’aurais en chiendent fin de longs serpents voraces,
Ne dévorant jamais que des rose-pompon.
Là-bas, au coin du mur, Echo viendrait répondre.
C’est là qu’on rangerait les bombardes à miel ;
Des afouches creusés, recouverts d’une empondre,
Logeraient les essaims jadis aimés du ciel.
Puis, je voudrais fermer d’une grille verdâtre
Cette calme villa; mettre, au petit portail,
Deux lions furieux, mais deux lions de plâtre,
Laissant voir aux passants leur langue de corail.
Mais des vives couleurs j’ignore l’assemblage;
Et ma palette, à moi, c’est un encrier noir.
J’aurais voulu, pourtant, peindre un frais paysage,
Quand le jour va pâlir, à l’heure où vient le soir.