À Sonny Rupaire

Poème d’Andy Davigny Péruzet (1981-) – Partenaire d’AFROpoésie – GUADELOUPE (France)

Il m’a semblé que les poèmes étaient des êtres organiques autant que les fruits. Qu’ils portaient l’histoire d’une maturation, d’une persévérance rétive aux chocs, à la brutalité. Tel un poudroiement d’écorces et de peaux vives ne pouvant éclore à contre-saison. Qu’il y ait éruption, qu’il y ait séisme, qu’il fasse cyclone.

1976. 1969. 1966. Tu étais là, fouillant, bêchant, retournant la terre vomie par les bouillonnantes mers du commencement. Et tu avais cette science de la poussée des fruits. Cette envie folle d’œuvrer sous l’envers du décor pour y cultiver une sorte de lumière inférieure, féminine. L’envie de faire monter au jour ce qui enfle sous la terre. Les formes luxuriantes et pleines d’une insolite beauté.

Ici on s’occupe enfin des racines. On les lie, on les relie à l’envi dans un jardin sans cesse revivifié. Un jardin qui ne tient pas en place.

Les racines me fatiguent un peu pour tout te dire. Qu’elles restent sous la terre. Qu’on les invente, plus qu’on ne les voie. Puis qu’on les arrache enfin. Et c’est peu dire que tu t’es dédié à ce dire-racine dont on a tant médit. Ici les langues se délient d’ailleurs. Les créoles, enfin ! Un nom impropre pour des langues timidement latines, tu ne trouves pas ? Les gens y ont appris à aimer. Pas encore à compter, mais nul doute que cela viendra. Pour l’heure on ne compte que sur soi-même.

Alors dans mon jardin créole tout de lave noire irrigué, j’ai compté et semé des graines de goyave bleue. C’est un rêve secret dit la chanson, un rêve déposé en chacun des vers ensommeillés de mes carnets. Des pages et des pages d’entretiens sensibles avec la Nature, toutes froissées à l’intuition de Mallarmé. Des petits dire, attentifs à voir les choses grandir et venir prendre part. J’ignore quand elles vont fleurir. Si elles vont fleurir… grossir, devenir aussi hautes que les espoirs d’un peuple. Une nouvelle espèce d’arbres que l’on appellerait peupliers. De grands grands arbres bruns, à peine réclinés, où balanceraient des fruits de lettres et qui flamboieraient en plein midi dans toute leur sueur de jus sucré. Une charmille de peupliers chargés de goyaves bleues. Un miracle

Sonny mon ami, crois-tu que tout ce qui a germé ici est amené à croître ? On aimerait tellement voir pousser, et récolter… mais une fois le fruit tombé qui le désire encore ? Tu sais Sonny, les chairs marronnes qui butent ont toujours rebuté ici. Et cela fait très longtemps que nos fruits sont écrasés sous l’odeur piquante du soleil. Une odeur bizarrement colorée. Alors j’ai cru. J’ai cru voir une igname par terre, longtemps abandonnée. J’ai cru pouvoir en faire une onctueuse confiture, car d’ici j’ai gardé le goût du sucre. Ah Sonny ! À nous voir attroupés ici, le sucre, cette igname et moi, j’ai peur qu’au bout du compte tu ne m’aimes plus. Moi, ton fils d’amères douceurs muselé.

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