Poème de Raphaël Barquissau (1888-1960) – LA RÉUNION (France)

L’odeur des jamroses monte de la ravine ;
La cascade blanchit à l’aube. Parle bas,
Enfant. Crains de troubler d’un mot l’heure divine ;
Je sais ce que tu veux dire ; ne parle pas.
Tu sens ton cœur bondir, éternelle expansive,
Et tu veux chanter que l’île est belle à son réveil…
Fais silence. Les mains jointes, grave, pensive,
Pieuse, vois monter l’ostensoir du soleil.
Les brumes du matin, blanches et floconneuses,
Flottent dans l’air ainsi que des vapeurs d’encens.
Comme les voix de l’orgue et des vierges pieuses,
La cascade et les filaos vont bruissant.
Sans frayeur vile et sans protestation mystique
Sous un roi d’Orient aux fantasques rigueurs,
Communions avec la terre pacifique
Et laissons la beauté calme envahir nos cœurs.
A la brise de mer le bois fervent frissonne ;
Tes cheveux dénoués ont le même frisson,
Et le choc des flots clairs dont la ravine sonne
Répond à l’hosanna des cœurs dans leur prison.
Te sens-tu comme moi dans ce matin renaître,
Tous deux jeunes et purs ainsi qu’au premier jour,
Et sens-tu que l’instinct qui frémit en nos êtres
Y fait acte de foi, d’espérance et d’amour ?