Poème de Rodrigue Hounsounou (1986-) – Partenaire d’AFROpoésie – BÉNIN

Ma vie s’est arrêtée ce jour-là !
En plein cœur de mon potron-minet,
La matrone me trancha
Le clitoris. Pour l’exciseuse et les autres sorcières
De mon village, c’était l’impureté,
La salissure, la porte qui donnait
Sur le monde de la perversité
Et de la débauche sexuelle.
Et voilà qu’au cœur de mon printemps,
Il me fut impossible qu’une petite voix
M’appelât « Maman ! »
Et voilà qu’au cœur de mon soir,
Je marche seule sur le chemin
De la solitude, sans soutien ;
Frappée par la stérilité et courbant
Sous le poids des railleries, des tourments
Et du rejet de ma communauté.
« Sorcière ! », je suis désormais étiquetée.
Voilà la vie que m’a offert ma tradition.
Je m’en souviens sans rémission
Comme si c’était encore hier.
Ce matin-là, fières ;
Lorsque les premiers rayons du soleil
Perçaient la voûte céleste vermeille,
Nous nous engageâmes
En file indienne
Dans la forêt sibylline.
L’une derrière l’autre, nous marchâmes;
Marchâmes pendant des heures
Avant d’arriver sur cette aire :
« Le champ des excisées ».
Sur une jarre retournée,
Je me suis assise pendant
Que les autres filles dénouaient
Elles aussi leurs pagnes innocents.
L’écho de la forêt emportait
Au loin le chant de l’excision
Qui comme une ombre
De mort, de barbarie de marbre
Et d’abomination
Faisait fuir les animaux sauvages
Et les oiseaux des feuillages.
Tout d’un coup, la forêt se fît silencieuse.
La matrone s’avança; brandit la larme impérieuse
Aux génies de la forêt
Puis trancha d’un coup ma chair.
Mon sang gicla un long moment
En torrent de lave.
Je ressentis une douleur vive, grave
Traverser mon corps mourant
De l’entrejambe à la tête
Puis de la tête
Aux pieds. Je poussais un cri strident
Et déchirant.
Tellement mes entrailles brûlaient.
Quand je vis les mains ensanglantée
De la praticienne qui s’assit flegmatique
A nouveau en face de moi en panique,
La terre parut s’effondrer sous mes pieds
Que je m’évanouis.