Poème de Bernard Fariala Mulimbila (1955-) – Partenaire d’AFROpoésie – RDC

On est au marché d’esclaves
Où sont marchandés les êtres pouraves,
Rasées sont leurs têtes striées de graves,
Blessures pansées par des mouches,
Qui douchent leurs raches.
Les yeux collés par des chassies,
Vieilles des temps de marches,
Deviennent lourds et roussis,
Livides leurs têtes, pleines de bibaches !
Bramant comme des biches,
Lassés de tout espoir de survie,
Ils souhaitent mieux de mourir
Que de vivre cette odieuse vie,
Assis et enchaînés sans coup férir,
Gorges sèches sous le soleil accablant
Qui frappe leurs visages nus endiablant,
Ils somnolent, grognent, murmurent,
En attendant leurs sorts dont les espoirs se murent.
On est au marché d’esclaves noirs,
Livrés au vil prix par des négriers sournois,
Marché de captifs, marché de déportés,
Où humanisme et amour, par le lucre, sont emportés.
Ils sont là, les captifs, au marché d’esclaves.
Perlant quelques grains de misbaha en signe de prières
Qu’ils interrompent pour vérifier les dents des esclaves
Les traitants d’êtres humains, dans leurs ornières
Légendaires, négocient les prix des esclaves sous entraves.
Marché de dupes ! Marché d’épreuves !
Les recalés rebutés, jetés aux dépotoirs assortis.
Les enfants coûtant chers que les adultes amortis
Par le poids d’âge, et, par de longues marches, avilis.
En quête des jeunes femmes à peau d’ébène,
Ils n’hésitent pas de tomber devant chaque aubaine.
Laissant courir leurs choix pour apprécier
Leur endurance physique ou les déprécier,
Chaque négociant derrière ses sujets en train de les fesser
Avec un bâton comme cela se fait avec des chiens à dresser.
Affamés, ces esclaves, rien n’a pu les engraisser.
Ils les sermonnent : « Oh ! courez ! oh ! courez !
Si vous n’êtes pas appréciés, la nature s’occuperait
De vous. Oh ! courez ! oh ! courez !
Plus de place pour vous, rien ne pourrait
Vous être donné comme nourriture. Oh ! courez ! »
On est au marché d’esclaves noirs,
Où sont vendus les esclaves noirs.
Nul n’est un marché qui n’ait
D’acheteurs. Toute offre qui n’ait
Aucune demande, jamais ne paie.
Poème tiré du recueil Belle nature ô triste terre des hommes, inédit
Udjidji : localité située en Tanzanie sur la côte orientale du lac Tanganyika. Elle fut une cité contrôlée par des esclavagistes et par où passaient toutes les caravanes d’esclaves, en provenance du Maniema et d’autres contrées avoisinantes, vers Zanzibar où les navires négriers les ramassaient pour différentes destinations.