Auteur : Didier Colpin (1954-) – partenaire d’AFROpoésie.
Titre et préface : Patrick PICORNOT.
Contenu : intégralité des poèmes -259- écrits lors du second semestre 2024.

Préface
DU SONNET ET DE SES MULTIPLES VARIANTES
S’il connut en France une fortune considérable aux XVIIe et XIXe siècles, force est de constater que le sonnet se montre de retour, par diverses formes, sous la plume de certains poètes du XXIe siècle. Le grand poète argentin Jorge Luis Borges (1899-1986) avait déjà annoncé en son temps que le sonnet demeurait, malgré son grand âge, l’une des possibilités réelles d’innovation formelle de la poésie de l’avenir.
Après un XXe siècle marqué par des ruptures et même l’éclatement total du poème, nous remarquons chez nombre de nos poètes contemporains un retour à la composition strophique, métrique ou non, mais le plus souvent hétérométrique. C’est nettement le cas chez un poète comme Alain Duault (né en 1949) qui se remarque par des suites strophiques de tercets, quatrains, quintils et autres groupements, composés en alexandrins mais aussi en vers de 14, 15 et même 18 syllabes (in Car la douceur de vivre est périssable, © Gallimard, 2022).
Le sonnet réapparaît, souvent en forme-mémoire, car dévêtu de son appareil rimique. Mais il peut nous arriver de le débusquer au tournant d’une page, quelquefois difficilement repérable du fait de son isolement dans le livre et de sa présentation en bloc, à la façon d’un Pierre de Ronsard. C’est par exemple le cas de Jacques Réda (né en 1929) dans Leçon de l’arbre et du vent (© Gallimard, 2023), avec la pièce LIX, composée en alexandrins, avec l’appariement de rimes ababababccdede. Dans le même ouvrage, nous pourrions, pour la pièce XIV, parler de sonnet resserré en 13 vers de 14 syllabes (6/8), en bloc lui aussi, apparié sur seulement trois rimes de la façon suivante : abbababaccaac.
Nous avons communément tendance à croire qu’il n’existe que deux constructions classiques du sonnet : la forme italienne dont l’appariement des rimes des deux tercets finaux se présente en ccd eed ; la forme française,en ccd ede. On a coutume de dire que ce serait Joachim Du Bellay (vers 1522-1560) qui l’aurait rapportée en France depuis Florence. N’en oublions pas Mellin de Saint-Gelais (1491-1558) ou encore Clément Marot (1496-1544), propagateurs de la poésie de Pétrarque en France.
Très italianisée, l’École lyonnaise produisit bon nombre de sonnettistes. Nous trouvons chez Louise Labé (1524-1566) un sonnet (VIII) avec des tercets bâtis sur seulement deux rimes : cdc cdc. Rappelons que sa suite de vingt-quatre sonnets s’ouvre par un sonnet en italien avec les tercets en : cdc ede, donc selon un autre appariement qu’italien ou français. Or, pour ses sonnets écrits en français, s’y rencontre la formule « à la française » ccd ede comme celle « à l’italienne » ccd eed. Le sonnet IX se distingue avec deux tercets en cde cde, combinaison rarequi, toutefois, respecte l’alternance des genres.
L’invention présumée de cette forme prestigieuse tout autant qu’immortelle qu’est le sonnet serait le fait de Giacomo da Lentini (1210-1260), fondateur de la Scuola Siciliana. On peut sans doute remonter à l’époque plus ancienne des troubadours, notamment à Arnaut Daniel (1150-1210). Au lendemain de la Croisade albigeoise, où les Français et le Pape massacrèrent les Cathares, les Troubadours se réfugièrent en nombre en Italie. Le sonnet serait-il notre éternel joyau sauvé des bûchers de l’Occitanie persécutée du XIIIe siècle ?
L’École Sicilienne, imprégnée de la poétique du Trobar, influença à son tour la poésie toscane. Comment ne pas citer le Florentin Dante Alighieri (vers 1265-1321), avec notamment les sonnets de la Vita Nova ? Mais ce sera bel et bien le Canzoniere de Francesco Petrarca (1304-1374) qui influencera l’École Lyonnaise tout autant que le groupe de la Pléiade. L’hendécasyllabe italien sera transposé en France d’abord en décasyllabe (4/6), puis en alexandrin (6/6).
En réalité, nous pouvons largement distinguer plus d’une vingtaine de formes de sonnets différentes, pouvant elles aussi être qualifiées de « classiques ». Si pour les deux sonnets dits italien et français l’appariement de rimes du front formé par les deux quatrains demeure immuable (abba abba), il peut certes apparaître variable en d’autres formes. Par exemple, au XIXe siècle où le sonnet tient une place conséquente, Baudelaire, Mallarmé, Verlaine et bien d’autres explorèrent des formes diverses, dont certaines avaient déjà été créées avant eux. Une sorte de renaissance, en quelque sorte.
La forme-sonnet ne s’est jamais complètement figée en son cadre strict constitué de deux quatrains à rimes embrassées suivis de deux tercets. Il joue d’élasticité et même parfois d’extensibilité en des formules très diversifiées.
Le sonnet anglais, dit aussi élisabéthain ou encore shakespearien, se compose, sur 7 rimes, de trois quatrains à rimes croisées, fermés par un distique : abab cdcd efef gg. Structure différente, ajout de deux rimes, avec cependant toujours quatorze vers.
Albert Samain (1858-1900) ajouta quant à lui un vers au système, créant un sonnet-quinzain qui peut prendre la configuration suivante : abba abba ccd ede d. Une autre forme de sonnet-quinzain, le sonnet gérardin, a été proposée par un poète contemporain, Gérard Laglenne (1928-2011), à partir de la suite décroissante 5 . 4 . 3 . 2 . 1 : ababa bcbc dcd bc a.
Davantage à considérer comme un exercice d’habileté, évoquons le sonnet monosyllabique de Jules de Résséguier (1816-1876). Certains poètes contemporains s’y sont loyalement essayé, tel par exemple Nicolas Saeys (né en 1981).Donnons juste un exemple :
Ma/ blanche/ Blanche/ va, // penche/-« da »,/ sa/ hanche/ ; // ô/ beau/ songe,// un/ sein/ plonge !
(in Le Foyer Universel, © Éditions Flammes Vives, 2021)
Autre style d’exploit, le sonnet en monosyllabes se compose en entier à partir de termes monosyllabiques. Ce fut l’exercice auquel se livra Marc Papillon de Lasphrise (vers 1555 – vers 1599). Donnons le premier quatrain de cet étrange sonnet en décasyllabes 4/6 qui, à dire vrai, ne connut que peu de suiveurs :
Si je n’y suis lors mon tout est un rien,/Mon œil plein d’eau, de maux me fond en pleur ;/Et si c’est là le beau but de mon heur,/Que je tiens cher : car c’est mon plus grand bien.
Auguste Brizeux (1803-1858), avec son sonnet polaire, inversa simplement l’ordre des quatrains et des tercets en abba ccd eed baab, conservant ainsi les cinq rimes et quatorze vers du modèle initial. Nous trouvons aussi dans son œuvre le sonnet renversé, les deux tercets placés en tête du poème : aba bcc deed deed. Sur le même principe de permutation des strophes, Catulle Mendès (1841-1909) proposa le sonnet alterné : abba ccd abba ede.
Jean-Jacques Bloch (1926-2011) a créé le sonnet de la section d’or (1,618), avec seize vers : a baabba a bccdedde. Dans un esprit approchant, Jacques Bens (1931-2001), membre de l’Oulipo, inventa le sonnet irrationnel à partir du nombre Π = 3,1415, soit quatorze vers répartis en un tercet, un monostique, un quatrain, un monostique et un quintil : aab c daad c efeef.
Quant aux sonnets en « extension », citons le sonnet estrambot, apparaissant déjà chez Albert Samain et consistant à rajouter à la fin du poème un tercet supplémentaire : abba abba ccc ddd eee ou encore abba abba cdd cee fef. Dans la poésie de Charles Péguy (1873-1914) le sonnet estrambot touche au gigantisme, les deux quatrains de tête abba abba étant suivis d’une suite indéfinie de tercets.
Bien que notre catalogue de formes soit loin d’être exhaustif, mentionnons en coda le sonnet égyptien du poète limousin Jean Berna. Composé sur la base du nombre 18, ce sonnet compte 18 vers de 18 syllabes (6/6/6) en trois quatrains suivis de deux tercets
(12+6) : abba abba abba ccd eed.
Didier Colpin (né en 1954), après une intense et variée production poétique, semble s’être centré, du moins déjà en ce qui concerne son nouvel opus, Fantaisies prosodiques 2 , sur une autre variante du sonnet, de sa création. Comptant également 18 vers, le sonnet de Didier Colpin se compose de trois quatrains encadrés de deux tercets. Très habile métricien, il écrit ce sonnet de son cru à partir de différents mètres (alexandrin, octosyllabe, hexasyllabe…), tout en demeurant en hétérométrie. Comme pour créer un effet de respiration, d’élasticité, mais aussi de relativité du discours, le premier tercet est suivi de trois points de suspension, de même que le troisième et dernier quatrains de la composition.
Si la poésie de Didier Colpin reste rimée, il ne montre pas d’intérêt pour des formules particulières de rimes, d’où nulle restriction du nombre des rimes. Il s’en tient aux simples rimes suivies, respectant cependant la rigoureuse alternance des genres. C’est bien uniquement l’agencement particulier et constant des strophes (tercets et quatrains) qui peut caractériser cette nouvelle forme en variante du sonnet. Au nombre de 8, les rimes s’organisent de la façon la plus simple avec, régulièrement tout au long de l’ouvrage, des tercets monorimes et des quatrains en rimes suivies : aaa bbcc ddee ffgg hhh.
Le premier tercet tient souvent la fonction d’exposition du thème. Il peut aussi se formuler sous la forme interrogative. Dans le même sens, le tercet final tient une fonction conclusive.
Assez rarement, la formule des deux tercets encadrant trois quatrains se simplifie en celle de deux distiques monorimes encadrant deux quatrains à rimes suivies, soit en tout un poème de 12 vers au lieu de 18.
Considérant l’ensemble du recueil, la variété des mètres est importante, impressionnante même. Sans doute que ce goût pour un grand éventail métrique représente l’une des intéressantes caractéristiques de la poésie de Didier Colpin, celui-ci usant avec aisance du mètre approprié à ce qu’il souhaite exprimer sur l’instant. Il est évident qu’un vers bref offrira d’autres possibilités expressives qu’un vers long et composé. En plus de l’alexandrin et du décasyllabe (avec une préférence pour la coupe 5/5), Colpin donne une faveur particulière au pentasyllabe et à l’hexasyllabe. Pour les vers courts, la rencontre avec des vers de 4, 7 et 8 syllabes est fréquente. Un seul poème se voit construit en trisyllabes.
Dans l’attente d’une meilleure appellation, nous pourrions nommer le sonnet de Didier Colpin sonnet de l’arche, considérant les deux tercets embrassants tels que deux rives, les trois quatrains centraux dans l’image d’une voûte.
Prolifique, pas un seul jour ne s’écoule sans que Didier Colpin n’écrive un ou plusieurs poèmes. Le poète respire avec son temps, les multiples situations de sa vie quotidienne. De quatrain en quatrain, son intense flux poétique ininterrompu demandait sans doute une structure plus resserrée, une forme à la fois complète mais cadrée sans malgré tout être totalement close. Le sonnet de l’arche se présente comme un tout en soi, certes, mais aussi tel un passage, un pont donc, nous menant en respirant d’un poème à l’autre. Le recueil se présente ainsi dans son entier sous la forme d’une ondulation, chaque second quatrain de chaque poème représentant un point de crête et chaque tercet un creux de vague.
Patrick PICORNOT
Président de l’association Parole & Poésie
Directeur de publication de la revue Rose des temps