Édouard Glissant (1928-2011) – FRANCE (Martinique)
C’est le sang taciturne
Qui fait forts les chevaux.
Ils ont des croupes et des poitrails
De lieux plus sains.
On dirait que les routes,
Que même les rues des villes
Estiment leur pas.
Et c’est dans le respect
Qu’en est transmis le bruit
Jusqu’aux étages où sont les hommes
Qui n’ont que faire.
Cette pomme sur la table,
Laisse-la jusqu’à ce soir.
Va! les morts n’y mordront pas
Qui ne mangent pas le pain,
Qui ne lèchent pas le lait.
C’est étrange pourtant que ce soit la pluie
Dans les tomates gonflées de rouge et de bien-être
Et dans la boue des villes
Qu’on sent partout sur soi.
C’est ainsi qu’on ferme quand c’est l’heure
Et qu’il arrive de faire nuit.
Et qu’on se lève plus tard pour entendre
L’horloge sonner de tout près.
C’est bien la nuit et beaucoup dorment,
Leur soif écrasée.
Si la porte s’ouvrait
Sur ton corps avili
De mort.
Debout encore et nu
Contre l’armoire.
Pâte à ne plus pétrir
De joie.
La maison d’en face
Et son mur de briques,
La maison de briques
Et son ventre froid.
La maison de briques
Où le rouge a froid.
C’est peut-être au-dessus du gouffre du plus rien
Et du noir attendu à l’entrée des forêts,
Peut-être aussi devant des choses plus amères :
La délivrance ou la torture avant demain,
Cette manie encore aux doigts roses et nourris,
Désireux tous les jours des caresses et du jeu,
De plier, déplier, comme ils feraient du temps,
Un fil de fer trouvé, long pas plus que la pipe,
Qui prend presque des formes
Où pouvoir s’agripper :
Dos d’un cheval, profil de chaise ou de bouteille,
Ou bien la lande
Tombant à pic sur un espace
Où pas un œil ne voudra voir.
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