Poème de Jean Amrouche (1906-1962) – ALGÉRIE/FRANCE
Illustration: monument des martyrs de la guerre d’Algérie – Alger
on avait fait les plus saintes promesses.
Algériens, disait-on, à défaut d’une patrie naturelle
perdue
voici la patrie la plus belle
la France
chevelue de forêts profondes hérissée de cheminées
d’usine,
lourde de gloire de travaux et de villes
de sanctuaires […]
Mais on leur a pris la patrie de leurs pères
on ne les a pas reçus à la table de la France.
Longue fut l’épreuve du mensonge et de la promesse
non tenue
d’une espérance inassouvie
longue, amère
trempée dans les sueurs de l’attente déçue
dans l’enfer de la parole trahie […]
Alors vint une grande saison de l’histoire
portant dans ses flancs une cargaison d’enfants
indomptés
qui parlèrent un nouveau langage
et le tonnerre d’une fureur sacrée :
on ne nous trahira plus
on ne nous mentira plus
on ne nous fera pas prendre des vessies peintes
de bleu de blanc et de rouge
pour les lanternes de la liberté
nous voulons habiter notre nom
vivre ou mourir sur notre terre mère […]
Nous voulons la patrie de nos pères
la langue de nos pères […]
Nous ne voulons plus errer en exil
dans le présent sans mémoire et sans avenir
Ici et maintenant
nous voulons
libres à jamais sous le soleil dans le vent
la pluie ou la neige
notre patrie : l’Algérie.
1958