Poème de Rodrigue Hounsounou (1986-) – Partenaire d’AFROpoésie – BÉNIN
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Entre la bibliothèque et l’école,
Il y a cette enfant au visage d’ange-sale.
Allant et venant sans cesse avec un calice
Du matin au soir dans la tristesse.
On la croisait parfois toute pâle
Devant la bibliothèque municipale;
Quelquefois, frappant de ses petits
Poings les portes closes de cet abri
Qui assouvissait autrefois en silence
Sa soif inextinguible de connaissance.
Accroupie ou couchée à même le sol,
Elle bâfrait avec une goinfrerie folle
Et une excitation démente les pages
De son vieux livre tout sauvage
Qui défilaient sous ses yeux.
Elle devait tutoyer les cieux.
On la voyait parfois assise, troublée
Devant le portail de son ancienne école
Les yeux fixés dans son cahier
Studieuse comme aux heures de colle.
Tantôt à voix haute
Tantôt à voix basse
Le timbre vocal si doux d’ivresse
Qu’elle offrait à sa lecture éloquente
Laissait tous les parents
Qui venaient chercher leur enfant
Couler des larmes à ses pieds enflés.
Dans son regard à présent ordité,
On pouvait encore facilement
Lire son appétit charmant,
Dévoreur de connaissance
Et deviner la naissance
D’une grande âme savante et pure.
Destin étouffé !
Destin torpillé !
Péché contre-nature !
Prise parfois de convulsions profondes,
Elle courait après ses anciennes camarades
A la sortie imminente des classes.
Seules quelques défroques lasses
De son uniforme d’école et des débris
De fournitures scolaires vieillies
Montraient qu’elle avait été une élève
Mais aujourd’hui une folle sans sève.
Certaines de ses vieilles amies fières
Lui lançaient des pierres
Parce qu’elle était devenue folle.
D’autres chantaient derrière elle
Parce qu’elle était devenue folle.
Un spectacle qui vous affole
Et ne peut vous laisser de marbre
Jusqu’à écoulement des larmes sombres.
Selon les propos des gens choqués,
Cette enfant jadis adorée et louangée
De ses formateurs jamais plaintifs,
De ses pairs, de ses parents admiratifs
De son intelligence et de sa bourse
D’étude qui allait l’emmener au Nord;
Attisa en ses tantes la haine de tort.
Femmes habillées toute leur existence
De rouge et de noir; sorcières assoiffées
De sang et de rayonnements innés
Elles avaient nargué le plan divin
Et rendu cette enfant innocente zinzin.
Désormais, elle traîne dans les ruelles
Musardant entre la bibliothèque
Et l’école où devait s’écrire avec zèle
Son destin de savante authentique.
Se nourrissant de débris amassés
Sur les immondices ou du reste fripée
De bectance qu’on lui offrait
Généreusement; elle vit à présent l’enfer,
Sans âme. Disloquée et déchue
Par le spectre d’invisibles inconnus.