Poème d’Alexandre Pouchkine (1799-1837) – RUSSIE
Au milieu d’un désert avare et maigre, sur un sol calciné par l’ardente chaleur, Antchar, comme une sentinelle terrible, se dresse, unique dans tout l’univers.
La nature, mère de ces steppes éternellement altérées, le procréant, en un jour de colère, l’a imprégné d’un venin fatal dans la verdure morte de ses branches et jusqu’à ses racines.
Fondu par l’ardeur du midi, le venin suinte à travers l’écorce, et, le soir, y reste figé en hideuses larmes à demi transparentes.
Aucun oiseau ne vole alentour ; aucun animal ne s’en approche ; seul le noir tourbillon l’aborde et s’en va pestiféré.
Si une nuée errante vient arroser son feuillage éternellement endormi, la pluie, aussitôt empoisonnée, découle de ses rameaux dans le sable brûlant.
Mais un homme, par un simple regard de commandement, envoya vers l’arbre de la mort un autre homme, et celui-ci, avec docilité, se mit en route et le jour suivant revint apportant le poison.
Il apporta la gomme mortelle et une branche aux feuilles flétries. La sueur coulait en filets glacés sur son front pâlissant.
Il l’apporta, fléchit et se coucha sur les nattes de la tente ; et le pauvre esclave mourut aux pieds du seigneur invincible.
Et le prince fit tremper dans le poison l’extrémité de ses flèches rapides et, avec elles, envoya la mort à tous ses voisins paisibles.
Traduction d’Ivan Tourgueniev et Gustave Flaubert, parue dans La République des Lettres, 1876, reprise dans Isaac Pavlovsky, Souvenirs sur Tourguéneff, Paris, Savine, 1887.