Poème d’Antoine Bertin (1752-1790) – LA RÉUNION (France)
Illustration: Le joueur de luth, par Caravage (1595)
Je chantais les combats : étranger au Parnasse,
Peut-être ma jeunesse excusait mon audace :
Sur deux lignes rangés, mes vers présomptueux
Déployaient, en deux temps, six pieds majestueux.
De ces vers nombreux et sublimes
L’Amour se riant à l’écart,
Sur mon papier mit la main au hasard,
Retrancha quelques pieds, brouilla toutes les rimes :
De ce désordre heureux naquit un nouvel art.
« Renonce, me dit-il, aux pénibles ouvrages ;
« Cadence des mètres plus courts.
« Jeune imprudent, fuis pour toujours
« Cet Hélicon si fertile en orages.
« Enfonce-toi sous ces ombrages ;
« Prends ce luth paresseux, et chante les Amours. »
Comment voulez-vous que je chante
Des plaisirs ou des maux que je ne connais pas ?
Pour sujet de mes vers, nulle beauté touchante,
Nulle vierge à mes vœux n’offre encor ses appas.
Je me plaignais : soudain, d’une main assurée,
L’Amour sur son genou courbe son arc vainqueur,
Choisit dans son carquois une flèche dorée,
L’ajuste, et, me perçant de sa pointe acérée,
« Tu peux chanter, dit-il ; l’ouvrage est dans ton cœur. »
Je cède, enfant terrible, à votre ordre suprême.
Hélas ! d’un feu brûlant je me sens consumer.
Mais de rigueurs n’allez point vous armer.
Faites que dès ce soir on m’aime ;
Ou, si c’est trop, du moins que l’on se laisse aimer.
Recueil Les Amours (1780) – Livre I.
Poème extrait du site http://www.mi-aime-a-ou.com