Poème de Simon Ferandou (1988-) – FRANCE
À Dibombari Mbock.
Je suis Isis-Marie,
cheffe de la consœurie
ancestrale du Mbog…
je dissipe le smog
et disperse la nuit
quand son ombre me nuit…
j’enfante la lumière
de façon coutumière
chaque 19 juillet…
le blé et le millet
sortent de mes entrailles,
vieux nourrissons qui braillent…
je vis dans les semis…
je vis dans tout, hormis
dans le souffle du Diable…
je suis l’irrémédiable…
je suis l’immense champ
et les chants dans ce champ…
je suis le grain, la graine…
je guéris la migraine
comme les maux de dos…
mes soins sont des cadeaux !
J’observe les anciennes
règles des magiciennes…
mon pouvoir ? C’est mon sein !
C’est mon utérus saint !
Mes pleurs et mes menstrues
font le Nil et ses crues…
le cosmos quadrillé
et le calendrier,
c’est moi… je suis la Voie
lactée… on me vouvoie
partout dans l’infini…
l’univers est mon nid…
je suis le suave antre,
tout est né de mon ventre…
l’étoile Sirius
dont les olibrius
ne remarquent pas l’angle,
c’est mon vagin triangle…
je suis l’étoile Éros
qui engendre un héros :
chaque aube et chaque année
ma vulve spontanée
tire de son sommeil
mon fils, l’enfant-soleil…
mon bec le phagocyte,
mon con le ressuscite :
je l’avale le soir
en mouillant l’encensoir,
et le matin l’engendre
en ravivant la cendre…
c’est un feu attisé…
les Grecs l’ont baptisé
Horus… moi, je le nomme
Horo… dans chaque nome,
on lui dresse un autel
au sommet d’un vieux tell…
ce tertre est le repaire
d’Ousir, son défunt père
et de Geb son aïeul…
(un bouquet de glaïeul
couronne le Dieu-Fleuve
qui offre une fleur neuve
aux Dieux morts dans leur fief ;
j’aime ce bas-relief ;
les murs de chaque crypte
sont ornés en Égypte…)
j’ai des milliers de noms
et autant de surnoms…
je suis Nout, Neith, la Vierge,
Hathor, Sothis… la verge
de mon mari Ousir
m’a fait 100 fois grossir…
pourtant, bien qu’accouplée,
je reste immaculée…
je mets au monde un œuf
chaque aurore… le neuf
est mon chiffre fétiche…
l’Homme fait un fétiche
de mon corps déifié,
et lorsqu’il va défier
la peur, l’erreur, la guerre,
son pire instinct grégaire
ou son plus vif émoi
il converse avec moi
via cette marionnette :
« Isis-Marie, honnête,
humble divinité,
cœur de la Trinité,
pardonne-moi ma reine,
j’ai péché dans l’arène
où l’on est ici-bas,
j’ai transgressé les Lois
de la Maât suprême,
mon remords est extrême,
aide-moi s’il te plaît
moi qui suis si simplet
et toi qui es esthète
à retrouver ma tête,
à redevenir beau…
descends de l’escabeau
qui te coiffe le crâne
pour aider le profane
que je suis aujourd’hui…
sors-moi de mon réduit…
transforme l’Homme piètre
que je ne veux plus être…
ô Déesse, ô Maman,
ô Giron-Firmament,
je t’aime et je te loue,
moi qui ai l’âme floue »…
*
je suis la fin… je suis
le but que tu poursuis,
le phénix dans la suie
qui siffle et qui s’essuie…
et je suis le début…
mes cornes de zébu
enserrent l’autre et l’une
le soleil et la lune…
je suis l’astre du jour
qui luit dans ton séjour…
je suis le seuil, la porte
qui s’ouvre et te transporte…
je suis l’astre des nuits
qui jouit dans tes ennuis,
ton amour, ton fantasme,
ton rêve… l’enthousiasme
est un don des dieux… j’en
suis pleine ! L’argent,
le cuivre et l’or scintillent
moins que mes écoutilles
quand j’ouvre entièrement
ma nef à mon amant !
Mon vaisseau est immense,
autant que ma romance…
je cause l’érection
et la résurrection
de mon époux céleste
dont le sort est funeste…
lorsqu’il est alité
ma sexualité
va s’asseoir sur son sexe
dans un dernier réflexe…
je me change en milan,
volant et jubilant
dans la tombe endormie
où attend sa momie
et le miracle a lieu,
toujours en mon milieu :
l’Esprit Saint me féconde
en moins d’une seconde…
puis je reste à genoux…
c’est l’amour entre nous
qui empêche qu’il meure
et fait que je demeure…
je chéris la grosseur
de mon ventre ! Ma sœur,
que les Grecs ont nommée
Nephtys, ma sœur aimée
que les premiers chrétiens
dans leurs pieux entretiens
baptisèrent Marie-
Madeleine, ou Marie
de Béthanie, et qu’ils
prirent pour deux profils
distincts, ma sœur-jumelle
— Bintou comme on l’appelle
veille sur mon enfant
quand d’un air triomphant
je veille sur le trône,
ou quand Souty, qui prône
la souffrance et le mal,
cet étrange animal
qui en veut à mon homme
ainsi qu’à mon fils gnome,
course Ousir ou Horo
sous les traits d’un taureau…
Nabintou qui se dresse
le chasse avec adresse !
je suis un bovidé,
moi aussi : j’ai guidé
la formation première
du cosmos en poussière…
l’Espace, c’est mon corps…
j’ai créé ses décors
en ouvrant la paupière
un matin… la drapière
qui a fait le tissu
dont l’azur est issu,
c’est moi… je suis la vache
sidérale ! La flache
de mon lait matriciel
que je trais dans le ciel
s’épanche sur la Terre…
c’est mon plus grand mystère…
je suis le terminus…
pour les romains Vénus,
mère d’Hermaphrodite…
pour les Grecs Aphrodite…
et je suis le départ !
Le tout dernier rempart
c’est mon ouche privée,
la ligne d’arrivée…
ma panse est un jardin…
Ousir, mon paladin,
protège mon enceinte
lorsque je suis enceinte…
mon ventre est un verger…
dans ce grand potager
que mes parois cloisonnent,
les espèces foisonnent…
derrière mon nombril
fleurit un mois d’avril…
ma grotte aphrodisiaque
est un parfait zodiaque…
je suis le Paradis
de demain, de jadis…
l’Afrique me vénère…
je suis le millénaire…
je suis Isis-Marie,
cheffe de la consœurie
archaïque Ķòò…
mon ventre est un zoo…
19.01.19
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