Lettre au poète Léon Damas

Poème de René Depestre (1926-) – HAÏTI

Léon Damas, 2nd Congress of African People, San Diego, 1972

1

Léon
Gontrand
Damas je t’écris

de la même façon qu’on naît

dans une maison triste et basse

sous des amandiers de
Guyane.

Je t’écris au temps du corossol

je t’écris en équilibre entre

la détresse et l’espoir des nègres.

Sur l’écorce d’un papayer je t’écris

dans la sève qui meurt et qui repousse

en sœur du mimosa de mon jardin !

2

J’écris au mauvais garçon du dimanche

qui riait aux vêpres des
Blancs ; j’écris

à son humour qui n’a jamais franchi la ligne,

j’écris à ses poèmes aux yeux bridés,

j’écris à la grand-messe des matins

de son enfance : au nom du
Père

du
Fils et du
Saint-Esprit

et au nom du français de
France

changé en île à l’eau salée de la souffrance !

3

Je cours le cœur fou après tes mots de tous les jours, tes mots simples que la vie du siècle a brûlés ; j’écris à ton jazz toujours au futur, je chante
l’aigle du grand poète qui plane en botno spiritual au matin de sa foi,

j’écris à l’homme qui a vaincu les tisons de fer rouge, le fouet, le piment, le crachat, l’insulte totale du temps de la plantation !

4

Je t’écris debout au grand soleil de ta mort bel été ouvert dans l’ironie des nègres, main brûlante de l’Afrique bien serrée sur la peau des mots du
français-français.
Les routes du bout de ma vie en riant font le tour de ton orchestre noir : me voici réveillé à ton lyrisme brutal, réveillé dans les pieds nus que tu mettais toujours
dans le plat qu’il fallait.

5

Je t’écris porté par les crapauds-bœufs,

la nuée de moustiques et de lucioles

qui voyagent la nuit dans tes masques :

te voici qui roules de gros yeux

guyanais de tendresse et de poésie,

loin des jours où l’on collait à notre vie

des ancêtres-gaulois-aux-yeux-bleus-de-rage !

je t’écris en plein été du blues, les deux poings

fermés à vie sur l’alphabet de ma révolte !

6

Je t’écris la bonne nouvelle : tu es rentré à cheval dans ta fantaisie, de la même façon qu’on sort au petit jour du ventre africain de sa mère, tu es de nouveau
le seul roi de tes racines, à dix ans de ta mort ta poésie d’homme libre a toujours les mains au collet de tout ce qui emmerde la musique des
Noirs

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