Poème de Daniel Thaly (1879-1950) – MARTINIQUE (France)

Quittant le littoral où dorment les pirogues,
Le torse fraîchement empourpré de rocou ,
Les vieux chefs tatoués s’en vont hautains et rogues
Vers les lointains pitons où niche l’aigle roux.
Devant eux, l’arc au dos, et son œil plein de flammes,
Chemine, flèche au vent, le fils de Galvanil
Qui finira ses jours dans le troupeau des femmes
S’il ne boit sans frémir le fiel du mansfenil.
(…)
Le fils de Galvanil dissimule ses gestes,
Tend l’arc et fait voler le javelot sifflant…
L’instinct le précipite : il ouvre des bras prestes
Vers le splendide oiseau qui tombe en palpitant.
Galvanil est venu vers le chasseur imberbe
Et ravissant le cœur de l’aigle encor vivant,
Il présente à son fils qui se dresse, superbe,
La coupe où l’or du fiel se mêle aux feux du sang.
S’étant orné le front d’un hoquet de plumage,
Nica sans frissonner boit le breuvage amer
Et les vieillards, joyeux de ce noble présage,
Jettent le cri strident qui va jusqu’à la mer.
Le fils de Galvanil que la vieillesse admire
Marchera libre et fier au bord des sables noirs;
Il verra le grand fleuve où le soleil se mire,
Ses barques vogueront dans l’or rouge des soirs.
Laissant à d’autres mains l’ennui des tâches vaines,
Il s’en ira superbe, empourpré de rocou,
Lutter pour sa tribu dans les guerres prochaines
Et chasser aux pitons lointains les aigles roux.
Et tandis qu’ils s’en vont, car la nuit embaumée
A recouvert le miroir sombre de l’étang,
Le fils de Galvanil, ivre de renommée,
Élève son carquois vers la lune d’argent.
Extrait de « de sel et d’azur, J.Corzani », Editions Hachette Antilles, 1969, p. 9 et 10