Poème de Guy Tirolien (1917-1988) – FRANCE (Guadeloupe)

je suis le fer fiché dans les chairs de ta plaie l'arête coincée dans le goulot de ton gosier l'éclat d'anthracite dans la roche de tes os et nul baptême nulle ablution ne te lavera de moi Amérique
les neiges fleurissant tes plaines de coton c'est ma sueur féconde c'est mon sang ta richesse
les sèves de douceur dans tes roseaux aux longs cheveux d'argent ce sont mes larmes non taries dans la bruyance de tes machines de tes mines de tes usines dans la violence des voix de cuivre des voix de nez des voix enrouées de ta musique
entends l'accent de ma colère de ma douleur et de mes hontes
Amérique
les nuées de charbon sur tes banlieues en deuil non ce n'est pas la suie de ma peau souillant la lumière des hommes c'est la cendre de mes os calcinés dans l'incendie des lynchages
l'acier de tes buildings coule dans mes muscles de bronze car je porte sur mes épaules tout le poids du Nouveau-Monde
je suis l'ombre de ton corps la nourrice aux mamelles de nuit dont le lait enrichit la vigueur de ton sang la pâleur de ton teint – tu ne peux te défaire de moi
j'ai la fureur des amants éconduits j'implanterai mes dents dans ta chair lumineuse ô terre de viol terre d'injustice et d'avenir je briserai ton échine – si fragile entre Colon et Panama je nouerai autour de ta taille arquée une étroite ceinture d'incandescence de convoitises
ma voix – celle de Césaire et de Mac Kay de Robeson et de Guillen sera plus forte que ton orgueil plus haute que tes gratte-ciel car elle jaillit des sombres entrailles de la souffrance Amérique
Balles d’or
© 1961, 1982 Présence Africaine
Quelle merveilleuse poésie ! Merci, pour ce si délicieux partage.
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Avec plaisir ! Merci pour votre commentaire.
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