Monia Boulila (1961-) – Partenaire d’AFROpoésie – TUNISIE
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Tu étais sans prélude
Et sans toi
Le monde tout entier
Avait un prélude
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Tu es devenu archéologue
À toi de déchiffrer la date de la fossilisation des cellules de mon cerveau
Tu as foré dans mon existence
Tu as compris
Un squelette de 70 kilos de viande, de gras, de vêtements et de chaussures
Il fut mort une vingtaine d’années
Or le médecin légiste le salue toujours
Un squelette de 70 kilos de viande
Sifflant dans le parc
Des morceaux de sa viande donnés aux chats
Et son cerveau aux petites corbeilles
Pour qu’elles jouent avec les pigeons quand elles seront grandes
Un squelette qui, dans sa lutte contre le réchauffement climatique,
S’est écorché
Pour donner sa peau aux manchots polaires
En cirant à tue-tête
Ne donnez pas espoir aux frigos de la ville
Tu es devenu archéologue
Tu auras mon squelette
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Une île lointaine
Dans un labyrinthe de désillusion
Des flammes du feu qui ne s’éteint jamais, le vent soufflant
Les coraux morts
Les fantômes des arbres
Qui peinent à inspirer
Sur les sentiers qui ne mènent nulle part
Des prisonniers
En tenue de travail, de sommeil, de repas
Je me jette dehors
Je n’ai qu’une vingtaine
Dans le labyrinthe de désillusions
La corbeille ne cesse de crier
Il faut tout chaud ou tout froid
Il ne pleut pas pour la plupart de l’année et un jour il pleut follement
Je me jette dehors
Dans les eaux usées et croupies
Nombres à dix chiffres
Des marchandises emmagasinées
Je me rétrécis
Mes paroles sont mélodiques
Mes mots tournent et tournent
Ils effacent les points
Certains suivent des régimes de paroles
Pour que les petites casques de protection
Leur soient propres
Peut-on voir l’amour par satellite?
Dans les vingtaines
Ici
Un an après
On a 60 ans
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Pour la nuit
La couleur de vêtements n’a aucun sens
Moi ici, mes saisons ont la couleur de ses vêtements
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Bref, la libellule
Qui s’est assises sur le mot de ton cœur
Avant de s’envoler
Devient enceinte si tu touches à des mots
Et elle met bat des mots
Range les mots
Et je serai lu
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Théâtre
Toute ta vie
Ta chambre de sommeil est noire
Tu fais des brouillards avec la fumée de ta cigarette
Au bout du compte
Il ne reste qu’une silhouette noire de toi
Ne me trompe pas avec ces charades
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Il était plus fatigué que l’on ne pensait
Il allume une cigarette
Il s’allonge sur le sofa en cuir
Il s’efforce d’oublier le monde
Peu après, il s’endort
Comme un petit enfant
De la paix
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« Je t’aime »
Mon cœur était naïf
De penser que cette phrase ne fut dite que
Par toi
Et des messagers
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Même quand je prends du somnifères
Je suis gonflé de toi
Je suis feuilleté
Tu me lis entièrement
Je suis réveillé
Même la mort ne pourrait vaincre ta présence
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La mort vient
Tout le monde est en congé
Il faut l’accompagner
En ne sachant
Qu’elle aura
Le dernier mot
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Dans la poche des mots déchirés
Tout est perdu
Avant qu’il ne soit tard
Fais passer les deniers mots
A ta langue
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Tu es au milieu du feu
Je deviens cendre
Tu ne brûles pas
Je brûle sans feu
Voilà la façon dont
Nous nous effaçons
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Mourir debout
Est un vœu lointain
Voilà des années que sont nés
Les arbres horizontalement
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Quand on ne peut pas partir
Je dessine un cheval
On peut entendre des galops et des hennissements
Au milieu des couleurs
Cette peinture
Ne s’apprivoise pas
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Je suis né aux coups de feu
Le mortier fait partie de ma famille
De mon lit
De mon domicile, de mon épouse
De mon linceul
De mon gilet de suicide
La mort est un petit jeu
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T’es devenu une croix
Je te couds sur moi-même
La couronne de ton épine sur mes cheveux
Ressemble à un poisson se tordant de douleur
Sur les sables mouillés
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La Terre
Comprend quatre lignes de transport
Et mille notes musicales
Sans les corbeilles
La terre chante le printemps en bégayant
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Tu ouvres le journal
On voit des mortiers sauter
Des corps terrifiés sortant de tombe
Cachés derrières toi
La sirène de raids aériens retentit
Des chars sur la table
Les avions franchissent le mur du son
On se cache sous la table
Tu les menaces de retourner au journal
En rampant
Tu fermes le journal
Faisant semblant de dormir
Ce journal n’aide à nettoyer aucune vitre
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Je bois du café
Le marc c’est ton visage
Et une silhouette qui
Ne me ressemble pas
Avec toi
Mon ombre
Est une ligne tremblante
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Le temps goutte
Sur toutes les feuilles vertes
Mes allées et venues dans la limite de la voie lactée
Je corromps le temps
Pour qu’il s’écoule moins vite
J’ai peur que la mort
N’entre pas dans un marché
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Comme le magazine
Plein de cartouches
Dès que je sourcille
Ma balle te tuera
Si je ne sourcille pas
Mes molécules deviennent une poudrière
Sur mon dos
Je deviens une bombe
Je tire en l’air
Je suis criblé de balles
On se bat tous les deux pour mourir
Je marche
La balle retentit
Je dors
La balle retentit
Je meurs
La balle retentit
Les bouches des hommes
Sentent la poudre
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Ta présence est comme des points de suspension
Représentant ta continuité
La hauteur des écritures illisibles
Je me perds sur le sentier de tes paroles
Mes colonnes toutes vides
Ne seront pleins
De tes écritures
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Constituant de grandes parties de moi
Un petit poisson rouge
Etranger avec des mots pluvieux
Le cauchemar d’un petit aquarium rempli d’eau boueux
Ayant fossilisé mes écailles
Ma douleur s’est gravée sur mon corps en hiéroglyphe
Regardez mes douleurs aux musées
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Le manque de toi
Fut peint comme un visage
Sans lèvres
Mes pupilles noires pleuraient dans mes mains
Et chacun de mes cheveux
M’échappait
Comme un pissenlit au vent
Tu n’es pas venu
La peinture vendait bien
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Sans prélude
Mon crayon devint un platane
Plein de corbeilles
Couvant sur tous mes paroles
Comment puis-je t’écrire que
Mon cœur avait un pigeon pour toi
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Tout mon amour
S’accommode dans une boîte à allumettes
Allume
Ta cigarette
Dans le souffre de mes imaginations
De toi
Me suffirait cela et l’odeur de tabac
Qui brouilleraient ma vie
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Le prix de la mort
Est moins cher que tous les oliviers
Même si on plante des oliviers sur toute la Terre
Il n’y aura pas de paix
Poème de SânâzDâvoudzâdéfar
Extrait de Je piétine sur les lettres mortes
Traduit par Kianouche Amiri
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