Poème d’Oswald Durand (1840-1906) – HAÏTI
Illustration: le lac de Brienz (Suisse) en été
Si je connaissais l’Italie,
Où Raphaël fit ses tableaux :
Florence, où la douleur s’oublie ;
Venise, où brillent les falots ;
Chantant alors la barcarole,
Sitôt qu’arriverait le soir,
J’aimerais dire à ma frivole :
« Allons rêver dans ma gondole,
Là-bas, auprès du vieux manoir ! »
Si je connaissais les Espagnes :
Madrid, avec sa señora ;
Séville et ses blondes campagnes ;
Grenade où brille l’Alhambra ;
Le soir, lorsque l’heure s’envole,
Faisant frissonner le roseau.
Je dirais à mon Espagnole :
« Allons causer au pied du saule,
Là-bas, au bord du clair ruisseau ! »
Puis les castagnettes d’ivoire,
Des bois réveilleraient l’écho ;
Les filles au corset de moire
Viendraient chanter le boléro ;
Alors, dans ma crainte jalouse,
Voulant pour moi seul ses grands yeux,
Je dirais à mon Andalouse :
« Allons danser sur la pelouse,
Là-bas, où les cœurs sont joyeux ! »
Ô Suisse, pays de mes rêves !
Si je connaissais tes villas,
Tes lacs et leurs riantes grèves,
Tes bois parfumés de lilas ;
Je pourrais oublier l’Espagne,
Venise, aux somptueux palais,
Et je dirais à ma compagne :
« Allons dormir dans la montagne,
Là-bas, où sont les vieux chalets !
Mais, je ne connais que nos mornes
Où se penchent les bananiers ;
Nos cieux, nos horizons sans bornes,
Nos bois, nos zéphyrs printaniers.
Le soir, quand le vent se pavane,
Courbant nos joyeux champs de riz,
Je dis alors à Marianne :
« Allons aimer dans la savane,
Là-bas, sous les manguiers fleuris ! »
In Rires et Pleurs (1896)
Tiré du blog Le Coin de Pierre