Poème d’Andy Davigny Péruzet (1981-) – Partenaire d’AFROpoésie – GUADELOUPE (France)

Le deuil à l’évidence est une affaire solennelle.
Il est un silence vivant, appartenant aux seuls aimants droit.
Dire que j’aimais Kassav serait mentir.
Quelques accords à trois, à deux, à une pauvre note parfois, très populaires et très festifs.
Des accords très d’ici… Peut-être trop d’ici ?
Je n’aimais pas Kassav,
À en contrarier le professeur de musique :
« Mais qu’aimes-tu donc, toi l’affreux enfant qui ne peut voir la beauté en tes pairs à force de les avoir à tes côtés ?
– J’aime Prince plutôt Monsieur, les beats racés, un souffle franc, à même la modernité, aussi noir que distingué (même si en vrai ce n’est pas vrai). Au moins quand il y a Prince, il y a d’un art du lointain qui s’approche… qui accroche. Il y a de cette distance qui nous évoque des choses grandioses, des gloires illusoires, nous qui depuis l’enfance savons nous tenir à l’écart.
– Et Miles Davis…
– … m’ennuie Monsieur. Je ne prends pas au mot les mots insincères, les mots qui sortent trop vite, se bousculent et viennent heurter la musique. »
Je n’aimais pas Kassav,
Et les voix hautes, les harmonies criardes des sorties scolaires
Et le bus, qui n’était pas encore un bus mais un car
Et qui tanguait, et qui vrillait, et qui sillonnait les longues routes escarpées de la liesse
Et l’air conditionné, qui n’était pas encore l’air conditionné mais la clim’
Et qui offrait à tous les premiers frissons d’hiver
« Frisson frissooon
Vini pran frissooon »
Comme si en chaque enfant, en chaque présence, en chaque recoin de ce tacot bariolé vibrait déjà l’aura solaire des souvenirs mouvants, des joies indélébiles.
Je n’aimais pas Kassav,
À en hurler furieusement parmi la foule exultante.
Ici aux Abymes,
Où la Terre m’avait chaviré neuf fois déjà autour de son dieu Soleil.
Pilipipi wééé !
Ailleurs à Montréal,
Après qu’il lui prit vingt fois l’envie de recommencer.
Pilipipi wééé !
Et là à Paris,
Sur le carreau immense d’une invisible ellipse, l’ultime piste de danse.
Pilipipi wééé !
Je n’aimais pas Kassav,
À m’en agenouiller près d’une tombe, non loin de celle des vieilles aïeules,
D’où un vibrato chaud baigne encore et encore les morts laissés là dans d’impeccables amours.
Je n’aimais pas Kassav,
Et cela ne m’a pas gêné pour les aimer.
Magnifique poème ! 💚
Très émouvant…
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Merci à toi et merci à lui.
R. I. P. comme on dit.
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RIP ❤
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